LA PETITE FEE DE LA FORET (suite)

Entre le moment où la fée Mélusine fit irruption dans la vie de notre maîtresse par un matin de printemps au bord du lac de Biscarrosse (voir article du 19/06) et celui où elle décida de prendre congé, sur la pointe des pattes pour ne peiner personne, il s'était écoulé 12 ans qui méritent je pense que nous nous y attardions un instant...

Outre l'acuité de son intelligence (ou un sixième sens ?) qui lui faisait devancer les attentes de ses maîtres, elle leur réserva très vite une bien belle surprise... Il faut dire qu'ils étaient novices en matière canine, ce qui explique que la surprise fut totale... Un matin ils furent réveillés très tôt par de petits vagissements et lorsqu'ils se précipitèrent vers la couche de leur chienne, elle leur présenta toute fière deux minuscules boules blanches qui têtaient déjà avec conviction... Pour le choix de son lieu de repos, dès son arrivée, elle avait fait preuve de la même détermination qu'elle montrait en toute chose. Les maîtres lui avaient acheté une belle corbeille mais elle avait jeté son dévolu sur une valise qui trainait, ouverte, dans un coin et il n'y eut plus moyen de la faire changer d'avis... C'est donc dans sa valise qu'elle avait mis au monde ses deux chiots.

Cette naissance soulevait quantité d'interrogations. Quel était donc le père ? En comptant les deux mois de gestation, il leur avait été facile d'en déduire qu'elle était arrivée chez eux  déjà enceinte. Les petits avaient l'air de pure race, s'était-elle enfuie d'un élevage ? Mais ils n'en connaissaient pas dans les environs... Ces deux petites frimousses encore aveugles épaississaient  le mystère autour des origines de leur mère...

En quelques semaines, le désir de chien de notre maîtresse avait été plus que comblé... il lui arrivait trois chiennes d'un coup !!! Bien sûr il fallut prendre de nouvelles habitudes, les deux petites (nommées Palmyre et Pomone) comme tous les chiots faisant quantité de bêtises... Pour n'en citer que quelques unes en vrac... Un jour Pomone, à peine âgée de deux mois, tomba de la barque, seul moyen de transport pour se rendre au chalet. Le temps que son mari coupe le moteur pour ne pas risquer de la blesser avec l'hélice et prenne une rame, la petite était déjà très loin. Notre maîtresse était folle d'angoisse et Mélusine passablement inquiète. Quand ils parvinrent enfin au lieu du plouf, ils trouvèrent Pomone qui flottait tranquillement sur les vaguelettes, gonflée comme une outre. Ils ne purent jamais comprendre comment elle s'y prenait, mais elle réitéra l'expérience et chaque fois qu'elle était dans l'eau elle gonflait son corps (un peu comme le fait une grenouille) et se mettait à flotter au lieu de devoir nager !!!

Une autre bêtise ? Un jour elles ouvrirent un des sacs qui attendaient dans l'entrée leur départ imminent du chalet en direction de Bordeaux et dévorèrent en un éclair toute une boîte de poudre de calcium destinée à saupoudrer leur alimentation faite maison pendant toute leur croissance. Notre maîtresse fut terrorisée, elle les pensait à l'agonie, empoisonnées et le trajet (d'abord bateau, ensuite voiture) jusque chez le vétérinaire lui parut interminable. Les petites, grâce à Dieu, ne paraissaient pourtant pas agonisantes et cela fit rire le vétérinaire : il n'y avait aucun danger, elles allaient tout évacuer dans leurs selles !!!

Ces trois chiennes mettaient tant de bonheur dans leur vie, mais aussi quelques obligations... Quand ils se promenaient à la saison de la chasse, il arrivait que Mélusine aille se planter aux pieds d'un chasseur qui tirait des grives et se précipite pour rapporter l'oiseau foudroyé... à son maître. C'était vraiment génant, parfois il se faisait insulter car le chasseur croyait qu'il avait appris à sa chienne ce comportement de pirate...

Ce fut donc pour complaire à Mélusine qu'il se décida à sortir le fusil qu'il avait rangé dans une armoire des décennies auparavant. Et Mélusine excellait à la chasse comme dans tous les domaines : elle arrêtait avec élégance, elle coulait sans bruit derrière le gibier, et même elle rapportait... Manifestement elle avait été dressée... Et elle éduqua ses filles. C'était un spectacle d'une rare beauté de les voir arrêter une bécasse "à patron" (c'est-à-dire que la simple vue de l'une des chiennes à l'arrêt  induisait chez les deux autres un arrêt immédiat, même si elles n'avaient pas encore senti le gibier)... Voilà comment on devient chasseur sans l'avoir vraiment voulu !!! Une fois de plus, Mélusine avait décidé de son destin : la chasse lui manquait trop, et bien elle s'était débrouillée pour inciter son maître à prendre son fusil et même s'il n'était pas très performant, elle avait la bonne grâce de s'en contenter... Ses deux filles avaient hérité de son "nez" mais par contre elles ne surent jamais rapporter, car le rapport s'acquiert par le dressage alors que l'arrêt est inné chez un setter...

Cette existence idyllique de nomades entre Bordeaux et Biscarrosse avec les trois fifilles se poursuivit quelques années. La famille avait accueilli deux dogues allemands, Pergame et Tamara qui suivaient les trois setters partout, même à la chasse, au grand scandale des "vrais chasseurs" !!! Notre maîtresse avait toujours peur que ces derniers ne leur volent les setters, quel drame ç'aurait été ! Mais le drame qui arriva, elle ne s'y attendait pas...il fut d'une tragique banalité : Pomone se fit écraser à 50 mètres de leur appartement au cours de la sortie matinale avec son maître... Elle n'avait aucune blessure, elle semblait dormir. Sa mère vint la sentir et puis très vite s'en détourna. Ce n'était plus sa fille, mais un simple corps de chien... Pomone était déjà parti chasser sous d'autres cieux... Ses maîtres n'eurent pas le fatalisme de Mélusine et pleurèrent Pomone pendant longtemps...